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Hommage | Marcel Ophuls
02 Juin 2025
Peu de cinéastes ont une œuvre qui aura changé en profondeur les consciences – Marcel Ophuls, qui s’est éteint le 24 mai 2025 à l’âge de 97 ans, est de ceux-là.
Marcel Ophuls aura été l’un des sismographes les plus percutants des tourments du XXème siècle et de ses abjections, dont sa vie fut marquée dès l’origine – enfant, il avait fui avec sa famille les persécutions contre les juifs de l’Allemagne nazie, puis la France, pour se réfugier aux Etats-Unis.
Fils du grand cinéaste Max Ophüls, il a dû trouver son chemin à l’ombre de ce père imposant. Ses débuts dans la fiction, pourtant portés par l’énergie de la Nouvelle Vague, ont vite tourné court. Mais c’est sur cet échec que va se bâtir une œuvre unique dans le cinéma documentaire, qu’il s’amusait pourtant à critiquer : « ce côté anti-Hollywood, anti-Fred Astaire et puritain du cinéma vérité m’insupporte » disait-il. De sorte qu’en tirant profit de cette contradiction il en fera exploser les formes, empruntant à la fiction sa narration et y insérant des extraits de films aimés, s’autorisant une liberté de ton et un humour insolent, parfois même clownesque, que personne avant lui n’avait osé sur des sujets aussi graves.
L’objectivité n’existe pas ! clamait-il, se mettant en scène dans ses films en composant un personnage savant et caustique, mû par une dérision et une colère jamais émoussée devant le déni de l’Histoire. Il y menait ce qu’il appelait des « conversations » – non pas donc des interviews –, au cœur de montages dialectiques et virtuoses qui exigeaient toujours une certaine durée pour s’accomplir. Ceci avec la croyance chevillée au corps que cet art de la maïeutique est la condition d’une prise de conscience en profondeur des barbaries, dans toutes leurs étendues.
Après un passage fracassant à l’ORTF, c’est bien sûr son film sur l’occupation sous Vichy, Le Chagrin et la pitié (1969) qui fait date, frappant en plein cœur la France gaulliste et le mythe d’une nation résistante. Cette œuvre de près de 4h20 prend place aux côtés de Nuit et brouillard d’Alain Resnais et de Shoah de Claude Lanzmann au Panthéon des films documentaires majeurs sur cette période de l’Histoire – et dans celui du cinéma tout court.
Suivront quatre films essentiels : L’empreinte de la justice en 1976 sur les crimes de guerre, Hôtel Terminus en 1988 sur Klaus Barbie, Oscar du meilleur film documentaire, November Days en 1990, sur la chute du mur de Berlin et enfin Veillée d’armes, en 1994, sur le journalisme pendant le siège de Sarajevo.
Son ultime opus, réalisé en 2013, est un témoignage émouvant de la vie du cinéaste en forme d’autoportrait, intitulé Un voyageur.
« On porte la responsabilité de l’époque où on a vécu », dit Régine Ackermann-Ophuls, son épouse, dans L’empreinte de la justice. Cette exigence, éthique et artistique, Marcel Ophuls l’aura accomplie tout au long de sa vie, sans craindre les coups et les fâcheries, avec un caractère bien trempé qui lui a parfois joué des tours – il eut beaucoup de projets avortés.
À l’heure où l’on crie encore et toujours sous les bombes, où des massacres et des crimes de masse ont lieu sous les yeux du monde entier, la mémoire exemplaire de ce voyageur infatigable, cinéaste majeur, éclaireur des consciences, nous oblige.
La Société des réalisatrices et réalisateurs de films
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