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Tribune en soutien au peuple soudanais
Texte paru dans Le Monde du lundi 15 mai
15 Mai 2023
À l'initiative de Hind Meddeb et Valérie Osouf, des cinéastes de la SRF et de la CGT-Spectacle, en réseau avec d'autres institutions culturelles, les acteurs du monde de l'art se mobilisent en soutien au peuple et aux artistes soudanais, pris en étau dans le conflit qui déchire le pays depuis le 15 avril.
À la Présidence de la République,
Au Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères
Au Ministère de l'Intérieur
Le samedi 15 avril dernier, le Soudan est entré dans une guerre qui piège la population civile, prise en étau entre deux factions rivales de l’armée qui se disputent le contrôle du pays. En quelques années, une milice paramilitaire - les Janjawids, désormais rebaptisée FSR (Forces de Soutien Rapide) - qui jusque-là secondait l’armée régulière dans sa répression de toute contestation politique, est devenue plus riche et plus puissante que l’État, se retournant contre ceux-là mêmes qui l’avaient créée.
Contrairement à la version diffusée par certains médias internationaux, il n’y a pas de guerre civile au Soudan. Un conflit armé oppose deux généraux sanguinaires, Burhan et Hemitti, autrefois alliés de circonstance et désormais frères ennemis. Deux hommes au lourd passé de génocidaires, tous deux reconnus coupables dans les années 2000 de crimes de guerre et de crime contre l’humanité au Darfour, dans la région du Nil bleu et au
Kordofan.
Deux hommes qui se soucient fort peu du sort de la population civile et qui n’agissent qu’au nom de leurs intérêts propres, privant depuis des années le Soudan de ses richesses minières et agricoles. Deux hommes prêts à tout pour asseoir leur pouvoir : bombardement des centres villes, destruction des hôpitaux et des infrastructures locales, enlèvements, viols, saccages des habitations, pillages, tirs à l’arme lourde dans les rues, non-respect des accords de cessez-le feu, profitant des trêves annoncées pour avancer leurs positions et faire toujours plus de victimes parmi les civils.
Partout au Soudan, la mort rôde. Et elle menace particulièrement les artistes et les intellectuels qui ont été en première ligne du soulèvement populaire de 2019 et des années de lutte qui ont suivi. Depuis quatre ans, les Soudanais se sont organisés en comités de résistance à travers tout le pays. Ils n’ont jamais cessé de pratiquer la désobéissance civile et la grève générale pour exprimer leur refus de se laisser gouverner par des militaires ou des religieux. Ils n’ont jamais cessé, malgré le coup d'État militaire d’octobre 2021, de manifester et de peindre les murs de leurs slogans au péril de leur vie, résistant pacifiquement pour faire advenir leurs rêves de liberté et de démocratie. Nombre d’entre eux ont perdu la vie sous les balles des militaires, juste parce qu’ils avaient osé marcher vers le quartier général de l’armée et le Palais présidentiel pour réclamer leurs droits les plus fondamentaux.
Car les Soudanais rêvent d’une « Madania », un État démocratique et libre - « Madani » en arabe signifie « civil », et la « Madania » veut littéralement dire « État civil », soit un État quise serait définitivement affranchi du joug militaire et religieux qui sclérose le Soudan depuis plus de trois décennies.
Les artistes soudanais ont été en première ligne de ce mouvement pour la liberté. Depuis quatre ans, ils accompagnent la révolution avec leurs films, leurs photographies, leurs peintures, leurs chants et leur poésie, inspirant aux manifestants les slogans de la résistance.
Nombre d’entre eux ont collaboré avec de prestigieuses institutions françaises. Ils sont montés sur scène, leur travail a été exposé, leurs films sont sortis au cinéma en France. Souvent coproduits par la France, les derniers films soudanais ont été sélectionnés dans les plus grands festivals internationaux.
En 2021, 6 photographes soudanais participaient aux Rencontres d’Arles dans le cadre de la Saison Africa 2020 avec l’exposition « Thawra! » qui retraçait l’aventure de la révolution soudanaise de 2019. Invités à participer à une table ronde sur la citoyenneté, leur intervention marqua le public du festival. A cette occasion, Eythar Gubara remporta le 5ème « Prix de la Photo Madame Figaro ». Saad Eltinay est aussi l’un des jeunes et
talentueux photographes qui ont été exposés à Arles. Quelques jours à peine après le déclenchement de la guerre, il a été enlevé chez lui à Khartoum par les miliciens FSR.
Pendant trois longues semaines, sa famille vivait dans l’incertitude et l’angoisse. Suite à d’âpres négociations, il a finalement été libéré ce dimanche.
Le 14 juin 2021, des musiciens soudanais montaient sur la scène du Trianon à Paris dansle cadre du festival Arabofolies porté par l’Institut du Monde Arabe. Depuis 2019, nombre de poètes soudanais ont été invités à dire leurs textes à l’occasion de la Nuit de la Poésie, à l’Institut du Monde Arabe.
Au Festival de Cannes qui s’ouvre mardi prochain, un long-métrage soudanais coproduit par la France est en sélection officielle dans la catégorie Un certain regard : Goodbye Julia, de Mohamed Kordofani, signant le renouveau de la cinématographie d’un pays qui a condamné le 7ème art à l’arrêt durant les 30 ans de dictature d’Omar el-Béchir.
Nous, acteurs du monde de la culture, refusons d’abandonner nos collègues et collaborateurs cinéastes, actrices et acteurs, techniciennes et techniciens, dramaturges, poètes, musiciennes et musiciens, plasticiennes et plasticiens, stylistes, photographes.
Si nous félicitons la France pour la gestion de son opération d'évacuation, qui a permis d’exfiltrer des personnes de 30 nationalités différentes, il nous semble que celle-ci devrait poursuivre ses efforts de soutien aux populations civiles par d'aide humanitaire, d'intervention diplomatique, et ne pas perdre de vue que toute demande d'asile d'une Soudanaise ou d'un Soudanais est légitime dans le contexte actuel du pays.
Des centaines de milliers de Soudanais ont pris la route pour échapper à l’enfer et se retrouvent aujourd’hui bloquées aux frontières des pays voisins, à la merci des passeurs et autres fonctionnaires corrompus. Les tarifs des bus pour sortir du pays ont été multipliés par quinze au cours des derniers jours. Toute la population est prise en otage.
L'actuelle Ministre de la Culture, Madame Rima Abdul Malak a déjà soutenu l’accueil d’un certain nombre d’artistes qui fuyaient des pays où leur vie était en danger comme l’Afghanistan, le Liban, l’Ukraine ou la Russie. Elle a tout de suite répondu favorablement à notre requête.
Nous demandons donc solennellement au Quai d’Orsay et au Ministère de l’Intérieur de permettre aux artistes dont nous avons fourni les documents administratifs et les coordonnées ainsi que ceux de leurs familles, de déposer une demande d’asile en France. Pour ce faire, un visa doit pouvoir leur être accordé, quel que soit le pays depuis lequel, elles et ils viendraient déposer leur demande.
Enfin, nous prenons l’initiative, à l’occasion des la publication de cette tribune, de lancer une collecte de fonds qui nous permettra d’aider financièrement chaque personne avec qui nous sommes en contact. Vous pouvez faire un don en cliquant ici


