Enquête sur la convention collective - Entretien #7 - Parole de producteur

02/10/2014
SRF

Entretien avec David Thion, producteur aux Films Pelléas et Hélène Bastide, directrice de production aux Films Pelléas. Ils ont produit, entre autres, les films de Serge Bozon, Axelle Ropert et les premiers films de Mia Hansen-Love. Ils préparent actuellement le tournage de Diamant Noir, premier long métrage d’Arthur Harari.

Propos recueillis le 28 mars 2014 par Laura Tuillier et Louis Séguin, avec Héléna Klotz

Quels sont d’après vous les premiers effets de l’application de la convention collective ?

David Thion : En si peu de temps, il est difficile de répondre, mais le baromètre Ficam met en évidence une forte baisse de l’activité cinéma sur les deux premiers mois de l’année (voir ici). Est-ce une des conséquences de la convention, qui nécessite des recherches de financements plus longues ? Les films sont-ils décalés ou annulés ?

Par ailleurs, je partage le sentiment de collègues producteurs qui ont tourné depuis l’entrée en vigueur de la convention collective : ils ont le sentiment d’une lourdeur administrative supplémentaire qui ne me semble pas très compatible avec nos métiers.

Hélène Bastide : Cette lourdeur, le directeur de production va la ressentir en premier chef. Le gros problème, c’est qu’on ne peut plus travailler plus de 48 heures par semaine. Or elles sont vite passées, quand on fait une heure de préparation et une heure de remballage par jour. Sans compter les heures supplémentaires ! On risque de devoir doubler les équipes. Une équipe le matin, une équipe l’après midi et le soir. Ça va être très complexe à gérer.

 

Il est moins cher de doubler les équipes que de payer les heures supplémentaires ?

HB : C’est surtout qu’un technicien ne pourra pas faire plus de 48 heures. On peut, certes, avoir des dérogations mais qui ne permettent pas d’aller au-delà de 60 heures. Au-delà de la 44e heure, les heures supplémentaires sont majorées à 50% et 75% au-delà de la 49e. Il faudra doubler certains postes, mais pas les chefs de postes.

DT : On tend vers un système à l’américaine, avec des tournages sur des temps très courts, et des contraintes très fortes sur les heures de tournage. Des films aussi ambitieux que ceux de James Gray, par exemple, sont tournés sur une trentaine de jours de tournage pour la plupart (Little Odessa c’est moins de trente jours, de mémoire). C’est très court ! En France, on a l’habitude de tournages assez longs, même pour des premiers films.

HB : Pour les premiers films de Mia Hansen-Love et de Serge Bozon, on était à trente-neuf jours de tournage.

 

Qu’en est-il du financement, dans ce contexte ?

DT : La masse de financements disponibles sur le marché français a tendance à se contracter pour plusieurs raisons.

Les minima garantis, pour les films d’auteur, ont tendance à diminuer, les films se vendent moins bien à l’international et les entrées en salles sont loin de compenser cette baisse. Ensuite, Canal + est beaucoup plus sélectif. Je pense qu’ils financeront un peu moins de films, et qu’ils aideront mieux les films qu’ils choisissent. Quant aux nouvelles chaines de la TNT, pour le moment, elles investissent encore plus d’argent sur les très gros films (il n’y a qu’à voir les investissements 2013 de TMC, Gulli ou France 4). Je ne suis pas très optimiste, même s’il y a quelques bonnes nouvelles, comme le renforcement du crédit d’impôt ou l’émergence de fonds d’investissement.

Hors, parallèlement à cette baisse des financements, nous assistons à une augmentation du coût de certains films en conséquence de l’application de la convention collective. Cela crée des « effets de ciseaux » difficiles à gérer pour les producteurs, mais aussi pour  les réalisateurs.

 

Est-ce que cette convention influence vos choix de producteur en amont ?

DT : Aujourd’hui, si je lis un scénario dont les ¾ des scènes sont de nuit, je vais tout de suite penser à la convention, puisque les heures de nuit coûtent beaucoup plus cher. Avant, on ne pensait pas à ces choses-là.

HB : Cela dit, il y avait déjà une convention. Mais on parvenait à trouver une souplesse dans son application. Pourra-t-on trouver la même souplesse avec celle-ci ?

DT : Il existait une négociation de gré à gré sur les barèmes de salaires. On s’entendait entre équipe technique, production et réalisateur. Aujourd’hui, c’est impossible, sauf à sortir du cadre légal avec les risques que cela comporte.

 

En dehors des questions de salaire, ce sont donc les rapports humains avec l’équipe qui sont en jeu ?

DT : Bien sûr.

 

Qu’en est-il du paiement en participation des techniciens ?

HB : C’est l’usine à gaz, on atteint une lourdeur administrative incroyable. Les participations seront illimitées dans le temps. Donc on va se retrouver à gérer trente, cinquante films avec des participations de recettes.

DT : On va devoir faire des redditions des comptes pour des sommes dérisoires ! Il y a très peu de films rentables et quand ils marchent suffisamment et que l’argent remonte, il va d’abord aux investisseurs à risque : les soficas, les fonds d’investissement, les coproducteurs… Le système de participation, tel quel, c’est une lourdeur administrative pour la production et très peu d’argent à gagner pour les techniciens. Et ce système risque d’avoir un effet pervers : comme les producteurs anticipent que souvent très peu d’argent remonte, et que cet argent devra être partagé avec les techniciens, ils ne vont pas être incités à prendre des risques. Ils vont être poussés à financer au mieux les frais généraux et le salaire producteur en amont, car leur mise en participation sur les recettes sera divisée par deux.

 

Voyez-vous des avantages à cette convention ?

DT : Je n’en vois pas beaucoup ! Les deux principales vertus que je vois à cette convention collective, c’est la création d’une solidarité entre les hauts et les bas salaires en régime dérogatoire, et d’avoir réévalué certains salaires anormalement bas (le chef monteur et le réalisateur, par exemple, souvent assez mal payés en salaire sur les films à moins de 2,5-3 millions d’euros).

HB : Il y a même des aberrations. Par exemple, certains postes n’existent pas, malgré ces grilles et ces barèmes ultra-détaillés. L’étalonneur n’existe pas, l’assistant casting non plus.

DT : Et le mixeur, par exemple, a perdu beaucoup en salaire. Et on ne peut pas le payer plus, parce qu’en ce cas il faut payer plus toute l’équipe.

Ceux qui ne perdront pas, ce sont les ouvriers, les régisseurs, qui auront toujours du travail (en raison de la généralisation du système de double équipe). En revanche, pour plein d’autres, s’il y a moins de films, ça va être compliqué. Je pense que plein de techniciens sont inquiets. Moins de tournages, c’est moins de travail.

 

Pour Diamant Noir, le premier long métrage d’Arthur Harari qui se tournera à l’été, avez-vous déjà dû évaluer des choses en fonction de la convention ?

HB : Oui. Par exemple, très récemment, on était en repérage en Belgique. Une scène de jour se déroulera dans un hall d’université ; mais c’est une scène de surprise, au cours de laquelle on allume la lumière, et il y a une fête. Arthur Harari a vu un décor magnifique, mais tout en grandes baies vitrées. Il m’a dit : « On n’a qu’à tourner de nuit ». Et j’ai dit que c’était impossible, à cause de la convention. On doit donc trouver un autre décor. Avant, je n’aurais pas dit « non » d’emblée.

DT : Si la journée de tournage coûte 25 000 euros par exemple, la nuit en coûte 37 500, c’est un changement important.

 

Comment se situe Diamant Noir par rapport à la clause dérogatoire ?

DT : Il sera dans la clause dérogatoire. Il est budgété pour l’instant à 3,5 millions d’euros, mais le financement n’est pas encore bouclé.

HB : Mais même avec cette souplesse des salaires que permet la clause dérogatoire, il reste quand même les heures de nuit, les heures de préparation et les heures supplémentaires, ce qui fait plus que le minimum syndical (forfaitisé) d’avant.

 

Pour ce film, l’application de la clause dérogatoire va-t-elle entrainer un surcoût ?

DT : Si tout se passe bien au niveau du financement, non. La zone vraiment dangereuse, c’est entre 1,25 et 2,5 million d’euros environ, il me semble. La France de Serge Bozon, par exemple, avec beaucoup de scènes de nuit, dans la forêt, ça aurait été vraiment compliqué à tourner avec la convention. A l’époque, le budget était de 1,5 million d’euros et nous avions tourné quarante jours, dont la moitié de nuits. Nous avions en permanence une dizaine d’acteurs sur le plateau, et une équipe image de huit personnes. Je ne vois pas comment nous pourrions faire le même film aujourd’hui.

 

Qu’en est-il de l’application de la convention pour vos autres projets en développement ?

DT : Le film de Danielle Arbid sera compliqué, car on se situera dans cette zone difficile dont je parlais. Je pense que la seule façon d’y arriver sera d’avoir une équipe très réduite. Comme sur le film d’Axelle Ropert, Tirez la langue mademoiselle. Les techniciens étaient d’ailleurs bien payés. On avait un million d’euros et les techniciens étaient payés à -20%. On avait de la souplesse, l’ambiance était super sur le tournage. Il faut surtout donner la parole aux techniciens ! Sont-ils plus heureux maintenant ?

HB : Pour les techniciens, ça va être compliqué : ils devront faire plus d’heures pour avoir le statut, mais ils risquent d’en faire moins avec cette convention.