Quatrième entretien. Rencontre avec la première assistante réalisateur Elsa Amiel. Elle a travaillé, entre autres, sur les films de Noémie Lvovsky, Mathieu Amalric et Bertrand Bonello.
Propos recueillis le 20 juin 2014, par Louis Séguin.
Il y a un an, vous aviez pris position contre la convention ; qu’en est-il aujourd’hui ?
J’y suis toujours opposée. De plus en plus. Au moment de la signature de la convention, il avait été promis que les films seraient mieux financés, et je n’ai pas du tout l’impression que ce soit le cas. Cette année, le nombre de films produits est en baisse, - 40%. Au final, il y a moins de travail pour les techniciens. Il y a vraiment quelque chose qui ne marche pas avec cette convention. Et on sent que ça crée un climat particulier. La convention coupe le dialogue, empêche tout aménagement de tournage. Le risque étant une uniformisation des films, qui seront calibrés pour entrer dans ce cadre. Bref on risque de s’ennuyer si on travaille comme ça.
Comment la convention a-t-elle influé sur le tournage de Saint Laurent ?
Elle a commencé à s’appliquer le premier jour du tournage. Il y a eu de très longues discussions, et la situation était extrêmement floue pendant longtemps. C’était nouveau pour tout le monde. A cause de ce flou, la situation était immédiatement tendue entre les techniciens et le directeur de production. Malgré cela, le ton a toujours été correct. D’ailleurs on ne s’est jamais retrouvé à dépasser les heures outre mesure, parce qu’on avait préparé le film longuement et pensé le plan de travail avec les nouvelles contraintes, dans la mesure du possible. Mais ça a créé, tout au long du film, un climat étrange sur le plateau : on nous oblige à entrer dans des clous sur un lieu de création…
En tant que première assistante, quelle était votre position au sein de ces tensions ?
Je dois dire que j’étais extérieure à ça. Le poste de premier assistant est à part : le temps passé sur le film n’est pas le même, l’implication non plus. A partir du moment où je me lance dans un film, je ne rechigne pas à la tâche. Et, pour moi, ça n’a pas de sens qu’on m’interdise de travailler, même après les trois heures supplémentaires.
Avez-vous eu l’impression de devoir tourner dans la précipitation ?
Non, parce qu’on a eu le luxe d’une longue préparation. En arrivant sur le plateau, on était prêt. Bertrand Bonello sait très bien composer avec les contraintes, et il est entouré d’une équipe qui le connaît depuis longtemps. C’est aussi pour ça que je n’ai jamais été prise en étau dans les discussions. Mais si on avait eu une préparation classique, ça n’aurait pas marché aussi bien.
La convention a-t-elle compliqué l’établissement du plan de travail ?
Oui, c’était un casse-tête. Mais le film était rendu possible par le décor, on était presque sur un film de studio ! On tournait principalement dans deux hôtels particuliers vides, ce qui évitait les changements de décors. Mais sans cette configuration, ça n’aurait pas été si simple. Aujourd’hui, si on veut faire un tournage léger, comme le fait la jeune génération, c’est devenu très compliqué. La convention met toutes les données dans des boites.
Est-ce que la convention a eu une influence sur votre salaire ?
Sur ce type de budget [environ 7,5 millions d’euros, NDLR], les films étaient déjà payés au tarif avant la convention. Pour moi, ça n’a rien changé. Les ouvriers me disaient même gagner moins qu’avant… Et si sur le tournage tout est compté, en revanche pendant la préparation je fais des journées de quatorze heures, et il n’y a pas de contrôle, on ne signe rien et on est payé moins qu’en tournage !
Que pensez-vous de l’annexe 3, qui permet une souplesse dans l’application de la convention ?
L’annexe 3, comme l’ensemble de la convention, a été mal pensée. Il faudrait qu’elle s’adapte à chaque film. Une chose aberrante, par exemple : pour entrer dans l’annexe 3, il faut que la masse salariale représente 18% du budget. Et si le réalisateur veut travailler avec six personnes ? Faut-il créer des postes inutiles ?
Par ailleurs, beaucoup de réalisateurs me disent que des techniciens refusent de travailler sous annexe 3, parce qu’ils seraient moins payés. Mais est-ce qu’il vaut mieux ne pas travailler qu’être moins payé ? Je ne comprends pas bien.
La convention a-t-elle une influence sur le film d’Emmanuel Finkiel, dont vous êtes la première assistante ?
Ce film, qu’on devrait tourner en septembre, a un très petit budget : 1,3 million. Et pour arriver à ces 18% de masse salariale et le faire entrer dans l’annexe 3, il a été décidé d’augmenter le dispositif d’équipe que souhaitait le réalisateur et d’étaler le temps de préparation. Avant cela, trois directeurs de production avaient déjà travaillé sur le film, disant qu’il ne pourrait pas entrer en annexe 3, condamnant ainsi le film et obligeant le réalisateur à couper le scénario, selon les différents devis. Jusqu’à ce qu’une nouvelle étude montre que c’était possible. On est sur un bateau qui tangue très fort et l’embarcation est fragile.
Quelles sont les conditions salariales sur ce film ?
Moi, je suis à -30%. Le réalisateur, le directeur de production et le chef opérateur sont à -50%, je crois.
Le travail de préparation est-il différent ?
On doit penser aux nuits très attentivement, et la répartition des jours. Grâce au travail bien en amont, on s’organise. Mais le dialogue entre la production et les techniciens devient plus difficile, parce qu’il y a un climat de peur. Peur de déroger à la règle avant tout. Avant on pouvait se mettre d’accord le jour même, pour le tournage des plans. Ce n’est plus le cas. Il y a de moins en moins de souplesse et de liberté.
Avez-vous l’impression que les positions des techniciens sur la convention ont évolué ?
Sur Saint Laurent, par exemple, les discours ont changé en cours de film. Au début, les techniciens disaient : « Il faut des règles, on s’est trop fait avoir. » Et finalement, ils ont été moins payés qu’avant.
Voyez-vous des avantages à cette convention ? La prise de conscience de la difficulté de certains métiers ?
Oui, bien sûr. Les régisseurs, par exemple, sont les premiers arrivés, les derniers partis, et font de la route, prennent des risques, il faut faire attention à chacun… Mais en contrepartie, cela oblige les productions à doubler les équipes, et les budgets restent pour autant les mêmes.
Cette convention a été faite par des gens qui ne connaissent pas le plateau, qui ne savent pas comment ça se passe ! C’est aberrant. Le système d’émargement impose de respecter le temps de présence et donc de travail sur un plateau, mais si moi je suis d’accord pour rester et travailler, préparer la journée du lendemain, j’aimerais qu’on me laisse faire ce qu’il faut faire pour le film.
Avez-vous moins de propositions à cause de la diminution des tournages cette année ?
Non, mais j’ai beaucoup plus de propositions concernant des premiers films. Peut-être que les financiers se lancent plus facilement pour un premier film que pour le film d’un réalisateur dont ils se méfient, au regard des entrées de ses films précédents. Les films ont de plus en plus de mal à être financés, et avec cette convention, on sent que des productions hésitent à se lancer condamnant de fait un certain type de cinéma.