Discours d'ouverture de la 55e Quinzaine des Cinéastes

Communiqué de presse
19/05/2023

Communiqué
19 mai 2023

 

Mercredi soir s'est tenue la cérémonie d'ouverture de la 55e Quinzaine des Cinéastes. Les cinéastes de la SRF ont ouvert le bal avec la remise du Carrosse d'Or, décerné cette année au cinéaste Souleymane Cissé, en sa présence. Vous trouverez ci-dessous le discours prononcé à cette occasion, qui revient sur les enjeux de notre politique culturelle. 


On se fait parfois des idées fausses sur celles et ceux que la SRF représente. Pourtant le spectre est large. Nous sommes la fiction, le documentaire, l’animation, le court métrage. Nous sommes les films à gros budget, à budget moyen, les films à petit budget. Nous sommes le cinéma radical et le cinéma populaire, celui qui remplit les salles et celui qui ne s’en soucie pas. Nous sommes le premier, le deuxième, le dixième film. Nous incarnons, dans cette pluralité esthétique et économique, ce qu’une politique du cinéma devrait avoir à cœur de faire coexister et grandir.

À ceux qui financent nos films, nous voudrions rappeler une vérité toute simple : pour que le cinéma soit un art, et pas seulement une industrie, il faut pouvoir prendre le risque de l’insuccès. Le désir du spectateur n’est pas lisible dans les habitudes de consommation majoritaires ni calculable par des algorithmes. Il n’est pas non plus réductible à l’immédiateté du plaisir. Ce désir naît de la rencontre avec des œuvres qui déplacent, troublent, ouvrent des mondes, choquent parfois. Lorsque dans les salles obscures, la singularité d'un geste cinématographique est projetée, l’espace insondable du désir s’ouvre pour les spectateurs.

Aujourd’hui les normes et les formatages, déjà habituels sur d’autres supports, se multiplient à l’encontre de celles et ceux qui font du cinéma. Nous refusons que nous soient imposés un rythme, un casting, la suppression d’une séquence ou d’un personnage, une fin heureuse ou malheureuse. Il en va de l’intégrité de nos œuvres et de leur cohérence. Le droit moral des auteurs - il devient hélas essentiel de le rappeler - est inaliénable et non négociable.

L’autre combat que nous menons d’une seule voix tient à une conviction : la diversité et la vitalité du cinéma sont le fait d’une volonté politique. Les pays où la loi du marché règne en maître, où il n’y a ni chronologie des médias, ni CNC, ni fonds de soutien, ont vu leurs salles disparaître et leur cinématographie s’effondrer. Seule une volonté politique exigeante et tenace est susceptible de contrer les logiques de concentration et de rentabilité. Cette volonté porte un nom : l’exception culturelle. Il est aujourd’hui urgent de la refonder, voire même de la renommer, le terme d’exception évoquant pour certains celui de privilège, auquel notre milieu est trop souvent renvoyé. Nous ne sommes pas des privilégiés. Pour nombre d’entre nous, faire des films signifie au contraire s’exposer à la précarité.

On peut s’inquiéter lorsque la vice-présidente de la région Auvergne Rhône Alpes, où viennent d’être supprimées les subventions au festival de Clermont, se sent autorisée à dire : « Vous savez ce que c’est, le problème de la culture en France ? C’est qu’on accompagne beaucoup trop ces métiers. S’ils vivaient sur leurs entrées, nous aurions une certaine vérité populaire ».

La double offensive à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés est glaçante. D’un côté, une conception mortifère de l’art resurgit par la voix des tenants du populisme et de l’autoritarisme. De l’autre, la culture est attaquée frontalement par les défenseurs d’une prétendue rationalité économique empreinte de néolibéralisme. Nous pensons qu'il faut sans attendre reprendre la main sur le terrain politique et affirmer sur tous les fronts que l’art, le cinéma, doit être libre dans ses conditions de production et ne sera jamais réductible à un produit de consommation.

Dire enfin que ces combats nous engagent aussi à repenser nos propres pratiques, à ne pas fermer les yeux sur les abus de pouvoir ayant cours dans notre milieu et sur nos plateaux. Nous, cinéastes, ne pouvons nous tenir à l’écart de cette salutaire remise en question.

Nous sommes particulièrement fiers de remettre aujourd’hui le Carrosse d’Or à un cinéaste dont l’œuvre et le trajet incarnent ces luttes et cette résistance, dans un contexte autrement plus menaçant que le nôtre. Un défricheur qui s’est poétiquement érigé contre toutes les formes de pouvoir, qu’elles soient patriarcales, étatiques, économiques ou racistes. Son exceptionnelle longévité, contre vents et marées, avec et sans moyens financiers, nous donne de la force. Son œuvre audacieuse contribue au chant du monde dans son partage de la cosmogonie, des arts et de la civilisation propres au Mali pré-colonial.

Seuls deux cinéastes d’Afrique ont reçu le Carrosse d’Or, c’est dire combien ce cinéma a été jusqu’ici sous exposé, combien il manque à la cinéphilie mondiale. Aussi nous remercions infiniment Souleymane Cissé d’avoir accepté de recevoir cet hommage.

 

La Société des réalisatrices et réalisateurs de films

 

Contact presse
Rosalie Brun, Déléguée générale - rbrun@la-srf.fr

Carrosse d’Or