Discours d'ouverture de la 54e Quinzaine des Réalisateurs

Communiqué de presse
20/05/2022

Communiqué
20 mai 2022

 

Mercredi soir s'est tenue la cérémonie d'ouverture de la 54e Quinzaine des Réalisateurs. Les cinéastes de la SRF ont ouvert le bal avec la remise du Carrosse d'Or, décerné cette année à la cinéaste Kelly Reichardt, en sa présence. Vous trouverez ci-dessous le discours prononcé à cette occasion, qui revient sur les enjeux de notre politique culturelle.


 

La SRF souhaite exprimer son inquiétude quant à l’avenir de la culture en France. Au cours de la dernière campagne présidentielle, nous sommes allés à la rencontre des candidats pour tenter de partager cette préoccupation. L’équipe de l’ancien président, qui, cela ne vous aura pas échappé, est également le nouveau, ne nous a pas rassurés. Nous ne pensons pas que l’exception culturelle française, incarnée notamment par la chronologie des médias, doive être dépoussiérée. Nous ne pensons pas que la défense de la salle soit un combat d’arrière-garde. Nous ne pensons pas qu’il y ait trop de films, ni que les plateformes et les grands groupes soient le seul horizon – les plateformes, d’ailleurs, auront toujours besoin du cinéma, de ses auteurs, de son incroyable liberté. L’avenir, c’est le cinéma.

La culture ne peut être envisagée comme un simple moyen de soft power ou de divertissement. Pour nous, la culture en général, et le cinéma en particulier, sont une fin en soi. Par conséquent, une politique culturelle dont le cœur n’est pas l’œuvre et ses auteurs, une politique culturelle qui ne défend pas l’indépendance de la création, qui ne pense pas à la façon d’y faire accéder le plus grand nombre est non seulement vaine mais elle met en danger la démocratie. 

À l’aube des élections législatives, nous souhaitons réaffirmer combien une autre vision de la culture est cruciale. Cette autre vision, des voix alternatives la portent aujourd’hui avec force, nous espérons qu’elles seront entendues.

Par ailleurs, la SRF est une association de cinéastes. Nous ne cesserons de clamer notre amour de la salle, et nous préoccupons de la confusion, politiquement entretenue, qui s’opère entre l’audiovisuel et le cinéma. Cette préoccupation est d’autant plus prégnante alors que nous sortons d’une longue pandémie qui a fragilisé la salle et a provoqué un repli vers les petits écrans. C’est, plus que jamais, une question politique.

Ce qui caractérise un film de cinéma, c’est qu’il est destiné à être projeté sur grand écran. Ce n’est pas un jugement de valeur. Il y a d’excellentes productions de télévision ou de plateformes, et beaucoup d’entre nous pratiquent les deux disciplines. Mais ce qui singularise un film de cinéma reste sa première diffusion en salle et ce que cela induit en termes de récit, de mise en scène, de fabrication.

Tout, dans un film de cinéma, se construit à l’aune de cette première diffusion, de ce premier marché. Son propos, sa temporalité, son audace, sa forme – tout ce par quoi l’auteur n’a pas à soumettre son écriture et sa mise en scène à un commanditaire unique. 

En salle, les cinéastes s’adressent au regard attentif des spectateurs qui sont venus voir un film. C’est cela qui leur donne le temps de mettre en place un langage singulier que ces spectateurs auront le temps d’appréhender pour entrer dans un univers. C’est cela qui permet aux cinéastes et aux spectateurs de se libérer du langage majoritaire.

Nous voudrions, à ce titre, vous citer les propos d’une grande artiste : « Le rythme, s’il est plus lent, est considéré comme un geste politique. Parce qu’il va à l’encontre du rythme de nos sociétés de consommation et de divertissement. Le monde d’Internet ne nous incite pas à regarder quoi que ce soit de trop près ou trop longtemps. En résistant à l’imposition de la vitesse au film, on donne l’impression de s’opposer à un système qui voudrait vous faire faire autre chose. Mais je n’ai rien créé dans le but d’envoyer un message quelconque. J’aime me concentrer sur les personnages et sur l’histoire. Aller plus lentement, c’est mon rythme naturel ».

Voilà une artiste qui, naturellement sans revendiquer un geste politique, pense son art pour la salle du fait de la temporalité de sa narration mais également du fait de son appréhension du territoire, de ce qu’elle choisit d’y filmer, si loin des clichés sur l’Amérique. Cette artiste tire notamment sa liberté d’un mode de fabrication souvent artisanal que seul le cinéma permet encore et dans lequel il se ressource et se réinvente sans cesse.
Dans toute la filmographie de cette artiste se construit une résistance, non revendiquée, à une vision normée de la société et de sa représentation audiovisuelle ou cinématographique. Elle pose un regard sensible, critique et bienveillant sur les personnages qui peuplent ses histoires. Il semble que sans jamais se départir d’une inquiétude, voire d’une douleur née du comportement de ses semblables et de la société qu’ils ont façonnée, son cinéma met en scène l’espoir d’une humanité qui perdure à travers des sentiments aussi simples que l’amitié ou la considération de l’autre.

Cette artiste, c’est Kelly Reichardt, et ce soir, les cinéastes de la SRF ont choisi de lui témoigner leur admiration en lui remettant le Carrosse d’Or.

 

La Société des réalisateurs de films

 

Contact presse
Rosalie Brun, Déléguée générale - rbrun@la-srf.fr

 

Carrosse d’Or