Enquête sur la convention collective - Entretien #6 - Parole de technicien

09/09/2014
SRF

Sixième rencontre. Entretien avec le chef opérateur Tom Harari. Il a signé l’image des films de Guillaume Brac, Justine Triet, Katell Quillévéré ou encore de son frère Arthur Harari. Il est actuellement en préparation du premier long métrage de ce dernier.

Propos recueillis le 16 juin 2014, par Louis Séguin.

Pouvez-vous revenir sur les étapes de votre prise de position contre la convention ?

Je me suis penché sur la question dès que les premiers mails ont circulé entre les producteurs indépendants. Puis j’ai signé la première pétition. En octobre j’ai participé au groupe de discussions autour du financement du cinéma. J’avais aussi signé le texte du groupe de cinéastes sur la proposition de convention alternative, avec l’idée d’échelonner les règles, car j'étais favorable au principe d'adapter la convention aux différents types de films. Une fois que la convention a été signée, je trouvais important que les films en dessous d’un million d’euros soient hors convention, mais ce n’est que temporaire. Par ailleurs, j'étais aussi rassuré par le compromis trouvé sur l'annexe 3 (disparition du numerus clausus, palier remonté à 3,5 millions d’euros). Aujourd'hui, le recours de la SRF me semble intéressant, également parce qu’il questionne la légitimité de l’API. Est-ce que ces groupes qui produisent très peu sont représentatifs de la production en France ?

 

A terme, la convention doit s’appliquer à tous les films, même à ceux de moins d’un million d’euros.

Oui, c’est ce qui a remis le feu aux poudres. Pour ma part, je trouve inquiétant que, du jour au lendemain, les films à moins d’un million d’euros puissent être concernés par cette convention. Pour les plus petits films, c’est extrêmement lourd, et ce ne serait pas applicable. Je ne pense pas qu’il faille instituer des films hors convention, mais il manque un palier qui permettrait plus de souplesse pour les films fragiles. Il faut pouvoir continuer à faire des films comme cela, avec une certaine liberté. Un film comme La Bataille de Solférino aurait beaucoup de mal à se faire sous convention.

 

Est-ce que la convention a une influence sur la préparation du film d’Arthur Harari, Diamant noir ?

Il y a une pression plus importante sur les heures de nuit et les heures supplémentaires, qu’il faudra absolument limiter. Avant l’application de la convention, sur ce type de films, la production demandait souvent aux techniciens d’offrir un certain nombre d’heures supplémentaires. Ce n’était pas toujours idéal, cette absence de cadre, et cela pouvait créer des situations de rapports de force sur le tournage. Mais je n’ai jamais fait de films où il n’y avait pas d’heures supplémentaires, et là, la production nous dit qu’il ne faudra pas en faire, parce qu’elle ne pourra pas les payer.

 

Y a-t-il eu des adaptations du scénario dues à ces contraintes ?

On n’est pas au point où Arthur doive modifier réellement le scénario. Cela dit, il y a un décor de maison moderne, très ouverte sur l’extérieur, dans laquelle il y a beaucoup de scènes de nuits. Or, dans ce décor, on peut difficilement tricher la nuit, c'est-à-dire tourner de jour en obstruant les fenêtres avec du tissu noir, car la maison est très vitrée. C’est son intérêt, on peut jouer avec l’extérieur, le jardin, et on ne peut le faire qu’avec de vraies nuits. Et on a tout même une demande de la production de faire le maximum de fausses nuits, voire de basculer certaines scènes en jour. Mais en l'occurrence, ça nous a donné de nouvelles idées d'ambiances lumineuses. Dans le cinéma, les contraintes peuvent aussi être intéressantes !

Par ailleurs, comme souvent en période de préparation, Arthur a dû faire quelques coupes dans le scénario pour rendre le tournage possible dans les limites du budget. Si on considère que la convention entraîne un surcoût sur ce type de films, alors elle a tout de même une certaine influence sur ces coupes de scénario...

 

La convention a-t-elle une influence sur la constitution de votre équipe ?

Non. Sur ce film-là, on a une équipe complète, standard, je ne suis pas vraiment confronté à ce problème. D'après ce que j'ai entendu, il arrive que la production ait intérêt à doubler les équipes, car cela revient moins cher que de payer les heures supplémentaires. Mais cela ne nous concerne pas, car on est censé ne pas dépasser le quota horaire.

 

La production anticipe-t-elle déjà le temps de préparation des plans ? Vous faudra-t-il travailler plus vite ?

Pour l'instant on n’a pas parlé de ça. Le temps de préparation, en principe, c’est une heure, et on essaye de s’y tenir. Pour l’équipe technique, il y a une heure de préparation et une heure de rangement prévues par jour, et il sera difficile de faire moins.

 

Etant donné que le film sera pour partie tourné en Belgique, y aura-t-il des techniciens belges ?

Pour ce qui concerne mon équipe, seul le deuxième assistant caméra est belge. Mais également la plus grande partie des équipes déco et régie. Ce n’est pas la même législation, mais je pense que les mêmes règles seront appliquées à tous les techniciens, et que les belges seront payés selon une échelle de salaire équivalente, ça me paraît évident. Il ne s’agit pas d’une délocalisation, le tournage en Belgique est entièrement justifié par le scénario.

 

Le film sera-t-il tourné en pellicule ou en numérique ?

En numérique. Même si on a imaginé un temps tourner en pellicule, à la réflexion le numérique nous a paru intéressant d'un point de vue esthétique, et au niveau du budget il y avait d’autres priorités. Je ne crois pas que ce choix soit lié à la convention. De nos jours, je crois que seul un désir très fort du réalisateur peut conduire à tourner en pellicule, et l’on peut tourner en pellicule avec très peu d’argent. C’est une pure question de choix et de priorité, qui n’est pas directement liée à la convention.

 

Ce film se fait dans le cadre de l’annexe 3 de la convention ; qu’est-ce que cela signifie pour le salaire des techniciens ?

Si on fait la moyenne entre tous les postes, je pense que cela équivaut à un -30%. Mais en ce qui me concerne, je me retrouve avec le salaire le plus faible que j’aie jamais eu. C’est un principe égalitaire que je trouve plutôt bon : les petits postes sont moins diminués, et les gros postes le sont plus. Mais sur un long métrage je n’avais jamais été payé en dessous de -40%. Sur La Bataille de Solférino, un film autour de 800 000 euros, j’étais payé à -30%, et sur ce film à 2,5  millions d’euros, je serai payé à -60%. La redistribution est bonne sur le principe, mais c’est peut-être un peu extrême en l’occurrence.

 

Cela pourrait vous dissuader de vous engager sur des films de ce type de budget ?

A priori, non ; jusqu’à maintenant, j’ai toujours fait les films parce qu’ils me plaisaient, et je ne pense pas que cela changera. Par contre, avant, j’acceptais d’être payé sur des temps de préparation très courts, très inférieurs au travail réel, parce que j’avais un salaire important au tournage. Maintenant, ça va peut-être changer un peu. En l’occurrence, sur le film d’Arthur, je suis mieux payé en préparation que d’habitude. Il ne faut pas oublier que je serai payé plus pour les heures de nuit et les éventuelles heures supplémentaires. Et il faut aussi préciser qu'il y a un système de participation aux recettes qui est censé compenser cette diminution de salaire, et qui n'existait pas de manière systématique avant.

 

Avez-vous l’impression que les débats autour de la convention ont créé des tensions entre techniciens, réalisateurs et producteurs ?

Non. En discutant avec des collègues techniciens, je n’ai jamais senti de grosses tensions, même quand ils étaient favorables à la convention. D’autant plus qu’ils ne sont pas insensibles à la survie des petits films.

Ce que l’on sent lorsqu’on travaille concrètement sur un film, c’est que tout le monde est capable de s’entendre, et que ces questions ne sont pas discutées à ce moment-là. Je ne sais pas encore à quel point la convention va influencer les manières de travailler, mais j’ai l’impression que ça ne peut pas modifier aussi rapidement les relations entre les gens sur le tournage. Les lignes de césure me semblent plutôt se trouver au sein des réalisateurs, entre la SRF et le SFR-CGT par exemple. Parce que je pense que ces débats mettent les réalisateurs dans une position compliquée, un peu schizophrène. Ils sont à la fois techniciens eux-mêmes, mais il s’agit de leurs films.

 

Voyez-vous des avantages à cette convention, en l’état ?

Je trouve important d’avoir soulevé la question de la limitation du temps de travail et de la rémunération des heures supplémentaires. S’il n’y a aucune limite, cela devient problématique, voire dangereux pour certains techniciens, par exemple les régisseurs qui ont parfois des accidents dus à la fatigue. C’est pourquoi je ne trouve pas souhaitable qu’il n’y ait pas de convention pour les films de moins d’un million d’euros. Mais, pour ces films, je pense qu'il devrait y avoir une dérogation plus souple que celle de l’annexe 3. Le mécanisme de participation aux recettes, que j'évoquais précédemment, me semble également être une bonne chose.