Enquête sur la convention collective du cinéma

18/06/2014
SRF

La Convention Collective du Cinéma a suscité une abondance de discours contradictoires, reflet de positions censément irréconciliables. Depuis sa mise en application, les débats ne sont pas moins vifs, mais ils peuvent désormais s’appuyer sur des expériences concrètes rencontrées au cours des différents stades de fabrication d’un film.
La SRF a décidé d’aller à la rencontre de ceux, techniciens, réalisateurs et producteurs, qui vivent les effets de la convention dans leur activité. Pour tenter d’établir une sorte d’état des lieux qui puisse servir de base de réflexion pour l’avenir. Cette série d’entretiens se veut ouverte, et sera amenée à accueillir régulièrement de nouveaux témoignages.

Le CA de la SRF

- Dialogue entre Guillaume Brac, réalisateur de Tonnerre, et Alice Girard, sa productrice, autour des conséquences de la convention collective. Pour ce qui concerne le film de Benoit Jacquot, qu’Alice Girard a produit avec Edouard Weil, voir l’entretien de ce dernier à venir.

Propos recueillis le 31 mars par Laura Tuillier et Louis Séguin

Alice Girard : Je pense que Tonnerre, que l’on a tourné avant la convention, est un cas intéressant de ce qui devient désormais impossible à faire. Le tournage comptait 15 nuits sur les 44 jours de tournage, 35 heures supplémentaires en mixte, 6 heures supplémentaires par semaine, et 3 dimanches. En fabrication, le film a coûté 1,5 million d’euros, dont 700 000 euros de masse salariale, et les techniciens étaient payés à -30%. Tout s’est fait collégialement, avec une petite équipe. Si l’on ajoute à cela les nombreux déplacements et les voyages qu’on devrait prendre en compte maintenant, on aurait un surplus de jours à payer qui doublerait la masse salariale. Le film coûterait donc 700 000 euros de plus. Ça veut dire qu’il faudrait trouver des solutions en amont. On ne partirait pas sur 44 jours de tournage, Guillaume ne tournerait pas dans les mêmes conditions, et on aurait probablement dû changer le scénario.

Guillaume Brac : On tournait le dimanche, par exemple, parce que Bernard Menez avait relâche de théâtre. Avec la convention, ça aurait pu mettre en cause ce choix de casting si important.

AG : Notre souplesse permettait d’intervertir des jours. Quand il a neigé, Guillaume est allé tourner immédiatement une séquence de ski de fond qui n’était prévue que pour la fin du tournage. Pour prendre un autre exemple de la liberté dont on a bénéficié : la décision de l’avance sur recette devait arriver tardivement, en pleine préparation. On avait décidé, en accord avec l’équipe, que l’on tournerait quoiqu’il arrive, et que si on obtenait l’avance avant réalisation, ce qui n’a pas été le cas, on paierait l’équipe au tarif syndical. L’équipe a joué le jeu, car elle savait que les frais généraux et le salaire producteur n’étaient pas payés non plus et que les comédiens avaient également fait de très gros efforts. Or, avec la convention collective, on ne peut pas se lancer dans la préparation tant qu’on n’a pas bouclé les financements, on a perdu cette liberté.

GB : Il faut préciser que sur Tonnerre, c’est toi qui étais la plus réticente à payer l’équipe sous le tarif, plus que moi, plus même que certains techniciens. J’avais tendance à dire et je n’étais pas le seul, que nous étions tous de jeunes réalisateurs et techniciens, et que, plutôt que de faire des coupes sombres dans le scénario, plutôt que de renoncer au temps de tournage que je savais nécessaire pour aller au bout de mon travail avec les acteurs, il était préférable d’être un peu moins payé. J’ai assumé le fait qu’on serait payé -30%, et je me suis évidemment inclus là-dedans.

 

Aujourd’hui, la variable d’ajustement serait le temps de tournage ?

AG : Oui. Le temps de tournage donc le scénario. On aurait dû couper deux semaines de tournage à mon avis. On aurait cherché aussi d’autres économies touchant directement l’artistique. J’aurais probablement insisté pour que Guillaume tourne en numérique plutôt qu’en pellicule, afin d’économiser 50 000 euros.

GB : Je pense que le film que j’écris en ce moment sera très cohérent en numérique. Mais pour Tonnerre, je savais qu’il y avait quelque chose d’organique dans le 16 mm, qui faisait partie de l’identité même du film. Si j’avais dû renoncer à la pellicule, ça aurait été un déchirement. Je me serais senti dépossédé du film que j’avais rêvé. Cela dit, j’ai parfaitement conscience que Tonnerre était un cas limite, et on ne peut pas demander plus à une équipe : travailler de nuit, avec beaucoup d’heures supplémentaires, dans le froid…

AG : D’ailleurs, ce qui a été possible sur Tonnerre ne le sera pas pour les prochains films de Guillaume. Indépendamment de la convention collective, c’était vraiment un tournage de premier long métrage.

 

Est-ce que les financements changent avec l’application de la convention ?

AG : C’est une réflexion collective qui se mène déjà, depuis les assises ayant suivi le rapport Bonnell. Mais comme chaque film se monte de façon atypique, unique, on essaye toujours de trouver des solutions singulières. Pour le film de Benoit Jacquot, on a monté une coproduction avec l’Allemagne et la Belgique, mais on ne pourrait pas le faire sur le film de Guillaume Brac ou d’Antonin Peretjatko, qui ne justifieraient pas de faire des dépenses à la fois en Belgique et en France. Il faut une taille d’équipe qui permette d’intégrer des chefs de poste des pays de la coproduction. Le profil des projets induit toujours sa méthode de financement.

 

Voyez-vous des avantages à cette convention ?

AG : L’augmentation de l’assiette du crédit d’impôt, pour les films à moins de 4 millions d’euros, est une piste intéressante. Il y a aussi le compte global du nombre d’heures sur la semaine, qui ne limite plus les journées à 8 heures de tournage. Mais je n’ai pas encore testé réellement cette nouvelle organisation.